Page:Dante Alighieri - La Vie nouvelle, traduction Durand Fardel.djvu/92

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Et entendant mes paroles dépourvues de sens,
Elle s’effraya et se mit à pleurer à chaudes larmes.
Et d’autres femmes, attirées près de moi
Par celle qui pleurait ainsi,
L’éloignèrent et cherchèrent à me faire revenir à moi.
L’une me disait : il ne faut pas dormir,
Et une autre : pourquoi te décourager ?
Alors je laissai cette étrange fantaisie
Et je prononçai le nom de ma Dame.
Ma voix était si douloureuse
Et tellement brisée par l’angoisse et les pleurs
Que mon cœur seul entendit ce nom résonner.
Et, la honte peinte sur mon visage,
L’Amour me fit me tourner vers elles.
Ma pâleur était telle
Qu’elles se mirent à parler de ma mort :
Il faut le remonter, disaient-elles doucement l’une à l’autre.
Et elles me répétaient :
« Qu’as-tu donc vu, que tu parais si abattu ? »
Quand j’eus repris un peu de force
Je dis : « Mesdames, je vais vous le dire.
Tandis que je pensais à la fragilité de ma vie,
Et que je voyais combien sa durée tient à peu de chose,
L’Amour qui demeure dans mon cœur se mit à pleurer ;
De sorte que mon âme fut si égarée
Que je disais en soupirant, dans ma pensée :
« Il faudra bien que ma Dame meure un jour ! »
Et mon égarement devint tel alors
Que je fermai mes yeux appesantis ;
Et mes esprits étaient tellement affaiblis