LA MESSE DE FLORENT LÉTOURNEAU
ON grand-père secoua sa pipe et reprit :
— Les gens de Saint-Jovite sont
chanceux. Des belles terres, des bons
chemins, la malle tous les jours, les chars, et
jusqu’à des autos pour aller se promener en
ville. De mon temps, tout ça, c’était le bois.
En deçà des terres neuves y avait trente-cinq
milles de bois dru ; et plus loin, dame, on
aurait rejoint le pôle nord sans rencontrer
une éclaircie. C’était pas rare, l’hiver, en
ouvrant sa porte, de voir un ours de sept
pieds de long qui fourrageait sur la galerie ;
ces bêtes-là, avec leur museau, débarraient
les granges, et emportaient des quartiers de
bœuf tout ronds. Et on bûchait, on hâlait
des souches, on charriait, et on suait, je vous
en réponds. Y avait de la misère, et je sais
pas ce qu’on serait devenus sans le bon Dieu
et le curé Labelle.
On était pas des saints pour tout ça ; c’était mélangé comme partout. La majorité c’était du bon monde, mais y en avait sur le tas qui ne valaient pas cher : des gens venus de loin, des fois, pour de vilaines raisons. Moi, mes voisins c’étaient David Latour et