LE NOËL DE CAROLINE
AROLINE Gingue était la fille d’un habitant
à l’aise de la côte du Petit Brûlé.
Sa maison était la cinquième après
celle du père Saint-Paul Peloche, qui fait le
coin de la montée. Elle avait un pignon
pointu surmontant une lourde maçonnerie,
où les fenêtres perçaient comme des meurtrières.
Elle était précédée d’une clôture en
pierres brutes, produit de l’érochage de la
ferme, et d’un parterre où, en été, poussaient
des dahlias et des lis jaunes, mêlés à beaucoup
d’herbe-saint-Jean. Et comme il restait
des cailloux à revendre, on en avait encore
entassé autour du poulailler et du puits
à brimbale ; on les avait rangés en bordures
blanchies à la chaux le long du chemin de la
grange.
Caroline avait vingt-quatre ans. Elle était née dans cette maison et ne l’avait jamais quittée. C’était une créature bien faite et capable à l’ouvrage. Elle pouvait, aussi bien qu’un homme, fardocher, piquer les patates, fauciller le blé-d’inde et fouler un voyage de foin. Elle s’entendait à l’élevage des veaux, les soignant depuis leur nais-