Page:Darboy - Œuvres de saint Denys l’Aréopagite.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
cxlvi
INTRODUCTION.

et le créateur, l’esprit conçoit un abîme insondable, immense. Pour le franchir, Érigène jette par-dessus, comme un pont sublime, la théorie des causes premières, ou principes absolus, que saint Denys nomme participations, et que nous avons précédemment décrits. L’ardente imagination de Scot l’a peut-être entraîné bien loin, ou les expressions l’ont mal servi dans le développement de ses idées sur la création ; car il semble difficile de n’y pas voir une doctrine panthéiste[1]. Scot donne ensuite du monde visible, et en particulier de l’homme, des explications allégoriques ou mystiques qu’il emprunte aux Pères grecs. Là se remarque une psychologie qui nous manque dans saint Denys[2]. Le retour de toutes choses en Dieu, qui est principe et fin, s’accomplira un jour. En passant par le tombeau, l’homme deviendra ce qu’il était primitivement ; son corps prendra un vêtement de gloire ; son âme rentrera au sein de Dieu. La terre sera transfigurée dans le ciel, le monde sensible dans le monde intelligible, la créature dans le créateur. Toutefois il n’y aura pas confusion, mais distinction permanente ; il n’y aura pas identité, mais union mystique[3].

Que Scot Érigène ait franchi, par quelques expressions du moins, les limites de l’orthodoxie, et que, de la sorte, il se soit écarté de la pensée de saint Denys ; que Bérenger d’abord, puis les avant-coureurs de ces sectes manichéennes, panthéistes et follement mystiques qui ravageaient avec tant de cruauté et de licence le pays de Vaud, le nord et le midi de la France et les bords du Rhin, se soient placés sous le patronage d’Érigène, invoquant son nom et ses doctrines, et qu’il faille, en conséquence, tenir ses œuvres pour suspectes, c’est ce que nous ne songeons pas à contester[4]. Toutefois il est juste d’observer deux choses : la première, c’est que les panthéistes Amaury de Chartres et

  1. De Divis. naturæ, lib. ii et iii.
  2. Ibid., lib. iii et iv.
  3. Ibid., lib. v.
  4. Jacobi Thomasii, Origines hist. philos, et eccles. ; Tennemann, Hist. de la Phil., t. I ; Concil. Labbe et Cossart, t. IX.