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XIX
INTRODUCTION.

qu’envahit une noble inspiration, un saint enthousiasme. Or, n’est-ce pas là ce qu’on pouvait, ce qu’on devait retrouver dans ce néophyte ? Ramené de la philosophie au christianisme, sa conscience tressaillit sans doute sous le flot de ces sentiments dont l’âme est toujours inondée, à la suite des grands et solennels changements qui bouleversent l’existence jusque dans ses profondeurs intimes, et creusent un autre lit à la pensée et aux affections. Vivement remué, il a voulu exprimer des joies si neuves par des paroles vives et hyperboliques ; sa phrase a pris une allure de dithyrambe, et ses fortes convictions éclatent en superlatifs multipliés. Celui qui nierait la valeur de cette observation, c’est qu’il n’aurait jamais eu le cœur saisi par une de ces émotions puissantes, qui ont besoin de parler une autre langue que celle de la vie matérielle et positive. Ainsi s’explique naturellement un des caractères les plus frappants du style de saint Denys, l’enthousiasme et le ton pindarique.

On remarquera également des locutions jusque-là inusitées, par lesquelles le docteur chrétien s’efforce de rendre la sublimité des enseignements évangéliques. La langue grecque se prêtait, il est vrai, à de semblables compositions de mots ; mais celles qu’adopte généralement saint Denys n’avaient pas été consacrées par l’usage. Aussi plusieurs éditeurs de ses œuvres lui ont rendu le service d’y joindre un lexique spécial ; et ses paraphrastes et commentateurs ont expliqué et relevé l’utilité de son néologisme ; et tout le monde applaudira à la justesse de leur pensée. Chrétien, et emporté par la foi vers des régions que le génie de son idiome natal n’avait ni explorées, ni décrites, saint Denys se vit contraint de tourmenter non pas la syntaxe, dont les règles fondamentales, toujours larges comme l’esprit humain, comportent des formules assez variées pour l’expression de toutes les pensées et de tous les sentiments, mais bien le vocabulaire, dont les termes n’avaient pas été créés pour les réalités de l’ordre surnaturel. Si donc notre auteur recourt à de nom-