Page:Darboy - Œuvres de saint Denys l’Aréopagite.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XXXIV
INTRODUCTION.


quelque copiste ou lecteur, dont l’honnête érudition aura gratifié de cette réminiscence le texte original. En effet, ce témoignage ne vient pas avec bonheur là où il est ; il s’agissait, comme l’auteur l’annonce, de justifier par l’autorité des Écritures, l’introduction du mot amour, ἔρως (erôs), dans la théologie. Donc tout argument basé sur la parole d’un pur homme devenait inutile pour le moment, et même sortait de la question. C’est pourquoi on ne comprend pas que saint Denys place entre deux textes de l’Ancien Testament un texte emprunté à saint Ignace. Cette intercalation et ce mélange d’autorités d’inégale valeur ne sont ni rationnels, ni conformes aux habitudes de notre écrivain. Au contraire, supprimez les lignes qui font l’objet de la discussion, la marche des preuves est régulière, et l’auteur reste parfaitement dans son sujet. Qu’on lise effectivement les numéros 14 et suivants du chapitre iv des Noms divins, et l’on se convaincra de la justesse de ces remarques. Seulement, pour prévenir toute instance sur cette matière, j’observerai que saint Denys cite d’après la version des soixante-dix, et qu’ici, comme ailleurs, il nomme théologiens nos écrivains sacrés.

Ensuite l’emprunt fait à saint Ignace n’a pas la valeur qu’on lui donne dans les œuvres de l’Aréopagite ; et par suite, c’est non-seulement un document mal à propos invoqué, mais c’est bien un contre-sens. Car il fallait établir que les auteurs inspirés prennent le mot amour, ἔρως (erôs), dans une noble et pieuse acception. Or, dans l’épître aux Romains ce mot reçoit précisément une signification opposée ; c’est ce qui résulte évidemment du passage entier. Saint Ignace oppose entre eux l’amour de Jésus-Christ à l’amour du monde, rappelle qu’on doit sacrifier celui-ci à celui-là, atteste qu’il a le désir de souffrir pour Dieu, tellement que, si, plus tard, cédant à l’amour des biens présents, il venait à demander la vie, on tienne compte, dit-il, de sa lettre d’aujourd’hui plutôt que de sa parole d’alors. Car, « à l’heure où je vous écris, j’ambitionne de mourir. Mon amour est crucifié, et il n’y a plus en