Page:Darien, Bas les coeurs, Albert Savine éditeur, 1889.djvu/151

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― Jean, arrive ici tout de suite.

Je m’avance, à pas lents, vers le berceau, baissant le nez, la grappe derrière mon dos.

― Tu as accepté un raisin de Mme Pion ?

Je lève la tête. Horreur ! mon père n’est pas seul. Il y a là M et Mme Legros, M. Beaudrain et Mme Arnal…

― Veux-tu me répondre, oui ou non ? Est-ce Mme Pion qui t’a donné ce raisin ?

― Oui, papa.

― Alors, tu acceptes quelque chose d’un bonapartiste ? Tu manges des raisins badingueusards ? Tu n’as pas honte ?

J’essaye de sauver mon raisin.

― Si, papa, j’ai honte.

― Alors, jette ta grappe.

J’hésite. Quel dommage ! De si bon raisin !

― Jette ta grappe !

Je la jette et je m’en vais, furieux. Furieux et honteux. J’ai vu, avant de partir, de quelle façon M. Legros me regardait, j’ai aperçu le sourcil froncé de M. Beaudrain et les lèvres pincées de Mme Arnal. Je comprends toute l’étendue de ma faute. Je comprends que tout le monde sait déjà que je suis un corrompu, un vendu, un traître. Quelle honte ! Il ne me