Page:Darien, Bas les coeurs, Albert Savine éditeur, 1889.djvu/28

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II


J’ai douze ans. Mon père en a quarante-cinq. Ma sœur dix-neuf. Catherine, notre bonne, n’a pas d’âge.

Elle nous sert depuis dix ans. C’est elle qui m’a promené en lisières dans les allées du parc et qui a guidé mes premiers pas le long des charmilles du Roi-Soleil. C’est elle qui me rapportait à la maison dans ses bras quand j’étais fatigué d’avoir traîné mes souliers bleus sur les tapis verts de Le Nôtre.

Je ne devais pas lui peser lourd : elle est forte comme un bœuf et dure au travail comme un cheval de limon. Je l’ai vue un jour, mise au défi par les ouvriers du chantier, porter vingt-cinq kilos à bras tendu. Elle est longue comme un jour sans pain et ça l’ennuie parce qu’elle est obligée de faire elle-même ses tabliers bleus : ceux qu’on achète tout confectionnés sont très bons et coûtent moins cher,