Page:Darien, Bas les coeurs, Albert Savine éditeur, 1889.djvu/332

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l’avenue de Paris, entre deux files de cavaliers. Des hommes en uniformes de gardes nationaux, en habits civils, en haillons, blessés, éclopés, portant au front la colère de la défaite et le désespoir de la cause perdue, s’avançaient farouches, la tête haute, avec la vision de la mort. La foule les huait. Des bourgeois, la face éclairée par la satisfaction immonde de la vengeance basse, levaient sur eux leurs cannes, passaient entre les chevaux des soldats pour cracher au visage des vaincus. Derrière, venaient des femmes, toutes têtes nues ; des femmes du peuple, portant la jupe d’indienne, le tablier bleu, d’autres habillées de riches costumes. On leur avait enlevé leurs ombrelles, à celles-là, leurs ombrelles qui auraient pu les garantir du soleil, et qu’un dragon avait accrochées à sa selle. Elles se hâtaient, les pauvres, faisant de grands pas pour suivre la colonne, pendant que les injures et les coups pleuvaient sur elles, pendant que des messieurs très bien leur jetaient des insultes sans nom, que des dames du monde leur lançaient des pierres.

Je me suis sauvé, écœuré, et j’ai regardé longtemps, le soir, le ciel tout rouge, sanglant, du côté de Paris, où la bataille continue.