Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/141

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tâcher de gagner une sortie. Pense un peu aux souffrances horribles qu’endure et que doit endurer encore pendant cinq longues années le malheureux qu’il a aidé à faire condamner, et tu me diras si mon action n’est pas juste. Tu me diras si j’aurais dû donner une goutte d’eau à cette canaille. Tu me diras si, au lieu d’une motte de terre, ce n’est pas un coup de fusil qu’il mérite !… Ah ! il ne faut pas faire le difficile, ici ; il ne faut pas faire la petite bouche ! Je t’ai vu tout à l’heure faire la grimace quand Barnoux t’a expliqué d’où provenaient les dattes que nous avons mangées. Nous avons volé le magasin, c’est vrai ; mais, est-ce qu’on ne nous vole pas tous les jours, nous ? Depuis plus de deux mois que tu es à la compagnie, combien de fois as-tu touché ton quart de vin ? Pas une. Combien de prêts t’a-t-on payés ? Pas un. Qu’est-ce qu’on met dans ta gamelle ? De l’eau chaude. À qui profite ton travail ? Aux filous qui t’exploitent. Volés ! je te dis, nous sommes volés du matin au soir et du premier janvier à la Saint-Sylvestre ! Réclamer ! À qui ? Tu sais bien que nous avons toujours tort, nous autres ! on ne nous fait pas justice ! nous sommes des parias ! Eh bien ! cette justice qu’on nous refuse, il faut nous la faire nous-mêmes. Et surtout, il faut expulser du milieu de nous et traiter comme des chiens ceux qui se conduisent comme des chiens, ceux qui sont assez lâches pour servir les rancunes d’une ignoble horde de garde-chiourmes…

— Ah ! tonnerre de Dieu ! s’écrie l’Amiral, qui marche en avant ; il vient de tourner un coude de la route qui, longue et droite maintenant, traverse un plateau étroit entre deux pics élevés, pour redescendre sur l’autre versant. Ah ! bon Dieu ! regardez donc !