Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/179

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ment précis où les poignets du patient sont collés à ses talons.

Ils sont trois, là-bas, tout au bout du ravin, qui sont aux fers depuis plusieurs jours déjà, attachés comme on n’attache pas des bêtes fauves, les membres brisés, dévorés le jour par les mouches, la nuit transis de froid, mangés vivants par la vermine. Ils nous ont demandé, quand nous avons pris la garde, de verser un peu d’eau, par pitié, sur leurs chevilles en sang et sur leurs poignets gonflés et bleuis. Le Corse les a menacés, pour toute réponse, de leur mettre le bâillon s’ils disaient un mot de plus. Il a fallu que j’aille, tout à l’heure, à pas de loup, verser le contenu d’un bidon sur les chairs tuméfiées et meurtries de ces misérables qu’on torture, au nom de la discipline militaire, avec des raffinements de barbarie dignes de l’Inquisition.


Et maintenant, en écoutant leurs plaintes douloureuses et le grincement des fers qu’ils font crier en essayant de se retourner, je pense à toutes sortes de choses atroces qui m’ont été racontées, là-haut, par des hommes sur lesquels s’est exercée, depuis de longues années, la férocité des buveurs de sang. Les ateliers de Travaux Publics, les Pénitenciers militaires… tous ces bagnes que remplissent des tribunaux dont les sentences iniques eussent indigné Torquemada et fait rougir Laubardemont ; ces bagnes dans lesquels les condamnés doivent produire une somme de travail déterminée par la cupidité des garde-chiourmes, intéressés aux bénéfices ; ces bagnes dans lesquels les ressentiments des chaouchs se traduisent par des punitions épouvantables : trente, soixante jours de cellule, avec une soupe tous les