Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/258

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par son rôle, le rhéteur qui se laisse emballer par ses sophismes ! J’en suis à me demander si ma haine du militarisme n’est pas une haine de carton, si ce n’est pas l’écho du rappel qu’a battu la Famine, avec ses doigts maigres, sur mon ventre creux, et si ce rappel ne va pas en s’assourdissant et en s’atténuant, aussitôt qu’on a mouillé la peau lâche avec un litre de vin ou une chopine d’absinthe !


De la blague, alors, mes cris de colère ? Du battage, mes emportements furieux ? Du chiqué, les frissons qui me glaçaient les moelles ?

Quelle pitié ! Et comme c’est lugubre, tout de même, de ne pouvoir comprendre ce que l’on a dans le ventre, de ne pouvoir croire en soi ! Se figurer qu’on porte au cœur une plaie vive, quand on n’a peut-être sur la poitrine que l’emplâtre menteur d’un estropié à la flan !

Ah ! bon Dieu ! dire que j’ai été si misérable, pendant des années, parce qu’on voulait me forcer à voir les choses à travers un carreau brouillé ! Et voilà que je viens de m’apercevoir que, sur le trou qu’avait fait dans cette vitre mon poing d’enfant, j’ai collé, de mes mains d’homme, le papier huilé de la déclamation !….


Je suis plus malheureux que les pierres.


Je sens mon âme se fondre… Insensé ! Au lieu de vivre dédaigneux et sombre, les yeux fixés sur un avenir menteur, si tu avais pris ta part des joies saines de la famille, si tu n’avais pas étranglé tes émotions et fermé ton cœur, tu ne serais pas harcelé par le doute impitoyable, ou tu pourrais du moins trouver une consolation dans la tranquillité de tes souvenirs et la