Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/194

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montent à la tête, se bousculent. Eh ! bien, j’en aurais une couche, comme on dit, d’être plus chevaleresque que tout le monde. D’abord, pourquoi ? Ma propre opinion ? Elle m’absout. Mon devoir vis-à-vis de moi-même est de ne pas briser mon avenir, de ne point placer d’obstacles dans ma vie. Adèle serait un boulet. Je suis un officier ; pas un galérien. L’opinion des autres ? Sans valeur. Les autres se conduisent comme moi ; encore plus mal ; et avec la connivence, l’approbation ou la tolérance générales. Ils ont même, pour les aider dans leurs trafics, des gens comme Schurke, le « bras droit » de Raubvogel, qui les traitent de coquins dans leurs propres maisons, au coin de leur cheminée. Quelle sécurité ont-ils donc, excepté la certitude de l’apathie ou de la lâcheté publiques — apathie voulue, lâcheté soldée ? — Et j’irais me gêner pour ces êtres-là ? Des nèfles… Ah ! Dieu de Dieu, que je m’ennuie !…

Mon père, heureusement, m’aide à secouer ma mélancolie. Il a toujours le mot pour rire ; la pièce pour rire, pas toujours. Il me fait de petits emprunts et de grandes confidences. Il m’assure que, l’argent, il n’y a que ça ; c’est une découverte qu’il a faite récemment : ah ! s’il s’était seulement douté de la chose plus tôt ! Et il me parle, avec une amertume sarcastique, de certains de ses collègues qui ont toujours accordé au vil métal, dans leurs préoccupations, la place qu’il mérite. Ainsi, Lahaye-Marmenteau ; en voilà un qui a toujours eu le flair, pour l’argent ! Tout lui est bon, pour s’en procurer. Et malin ! Il prête à intérêts, il fait l’usurier ! Oui ; mais c’est afin de prêter sans intérêts, et à fonds perdus. À qui ? À tous ceux qui peuvent l’aider — ou qui peuvent le gêner. — Il a son but ; il veut être mis à la tête de l’État-Major Général. Ah ! l’argent est tellement nécessaire, pour arriver !… Mon père, surtout lorsque ses fonds sont en baisse, a horreur de l’isolement ; il ne me quitte pas ; on nous voit