la ville, un éternel papier administratif pris dans le revers de la manche de sa vareuse ; s’affiche impudemment avec une sale grue ; fait des dettes ; se saoûle. Son père n’ose pas le punir, de peur d’un éclat scandaleux ; entre le devoir militaire et les sentiments paternels le malheureux hésite à tel point qu’il en devient parfaitement ridicule, objet de risée, non seulement par son gredin de fils, mais pour les officiers et les hommes qu’il a sous ses ordres. Et les yeux du lieutenant-colonel roulent des reproches véhéments.
Si mon existence n’est point romanesque, je n’y peux rien, et je me dois à moi-même de la décrire telle qu’elle est. Il me serait agréable, si le souci de la vérité ne me dirigeait pas, d’accumuler les événements sensationnels, d’ordonner une suite d’incidents mélodramatiques, d’aligner des personnages à rôles captivants. Mais le vrai seul sera mon guide, dût-il me faire tomber dans la monotonie. D’ailleurs, vous devez bien le savoir, il n’y a rien de plus plat, de plus terne, qu’une vie d’officier. La plus grande partie ne vous en appartient pas ; les occupations sont toujours les mêmes, prévues, réglées, machinales ; les distractions, non plus, ne varient guère, en province ; elles ne sont pas fort enviables ; quant aux prix, c’est toujours à peu près ceux des environs du Champ de Mars. Je n’essaierai pas de vous faire croire que je m’amuse au Cercle ; souvent, je changerais volontiers ma place contre celle du troubade de planton.
J’ai cherché à m’intéresser à la vie générale de mes concitoyens. J’ai discerné sur la figure des pauvres l’expression du désespoir admiratif et résigné ; sur la figure des riches, celle de la résistance rageuse et désespérée. Je me rends compte que je suis encore loin de savoir comment mon pays respire. Je suis porté à croire qu’il respire difficilement, dans une atmosphère d’hôpital où glissent les robes de la nonne et du prêtre, la lévite du