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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/244

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Ses lèvres tremblent. Ses mains tremblent. Des larmes, soudain, emplissent ses yeux. Elle regagne sa chaise, se renverse sur le dossier, et sanglote. Je la regarde, sans un mot. Au bout d’un instant, je répète :

— Combien voulez-vous ?

Elle essuye ses yeux, me jette un regard si désespéré ; et d’une voix très basse, de la même voix qu’elle avait quand elle était petite et qu’elle faisait la moue :

— Jean, je t’assure que je n’ai rien ; sinon… Je crois… Peux-tu me prêter dix mille francs ?

— Je vous donnerai dix mille francs demain à midi, dis-je d’un ton d’autant plus sec que j’ai grand’peine à dissimuler mon trouble. Demain à midi. Je vous le promets.

Adèle se lève.

— Merci, dit-elle péniblement. Je savais bien… Je pensais…

Elle mordille son mouchoir, et reprend d’une autre voix où tremble quelque chose comme un espoir :

— J’aurais mieux fait de vous écrire. Cela nous aurait épargné… Pour ma punition, j’aurai toute une grande journée de dimanche à passer seule dans une ville que je ne connais pas. Ça n’a pas l’air de la gaîté même, Angenis.

Je fais semblant de ne point comprendre. Adèle me quitte.

D’une fenêtre, derrière un rideau, je la regarde traverser la rue, disparaître. Et la conviction germe en moi, grandit vite, que je me suis conduit comme un sot. D’abord, c’est clair, Adèle était prête à accepter n’importe quoi ; à la fin, elle s’est trahie ; elle s’offrait ; je n’avais qu’un mot à dire… Pourquoi ne l’ai-je pas dit ? Qu’avais-je à risquer ? Après ce qu’elle a fait ces temps derniers, ce qu’elle a avoué, elle ne peut songer à un mariage avec moi. Ma maîtresse, pourquoi pas ?… Et je pèse longue-