Jusqu’au soir, je me reproche mes maladresses…
Le lendemain, à midi, Adèle revient. Nous échangeons à peine quelques paroles. Je lui remets un chèque que j’ai été chercher à la banque. (Un chèque, ça laisse des traces ; elle ne pourra nier avoir reçu une indemnité.) Adèle, avant de partir, me tend la main.
— Sans rancune, me dit-elle.
Sans rancune… Est-ce sûr ?
Je ne sais pas pourquoi, je ne veux pas savoir pourquoi, le séjour d’Angenis me devient insupportable. La vie de garnison, avec son fastidieux tran-tran, ses intérêts mesquins, ses intrigues petites, me pèse de plus en plus. C’est un cimetière, cette ville de province. Oh ! être quelque part où l’on vive, où l’on se sente vivre, où l’on ne soit pas seul avec ses pensées… J’écris à mon père pour le prier de trouver un général disposé à me prendre comme officier d’ordonnance. Il me répond qu’il a déjà cherché, sans succès, et qu’il n’a pas grand espoir pour le moment. Pourtant, le 10 janvier 1886, c’est-à-dire trois jours après la nomination du général Boulanger au ministère de la Guerre, mon père m’écrit qu’il a réussi à me faire demander par son ami intime, le général de Porchemart.
Son ami intime est équivoque ; on ne sait pas si le général de Porchemart est l’ami intime du général Boulanger ou celui de mon père. En fait, il est l’ami intime de l’un et de l’autre ; ou, du moins, prétend l’être. Une observation rapide, mais attentive, m’a convaincu qu’il les hait tous deux. Je suis absolument certain, d’autre part, que mon père déteste cordialement le général de Porchemart ; et j’ai quelque raison de croire que ses sentiments sont partagés par le ministre de la Guerre. Trio de chers camarades, de vieux camarades. On s’aime, dans