L’armée… Les hommes sont surtout retenus sous les drapeaux pour l’agrément ou le profit des galonnés, afin de leur créer une permanente raison d’être. Vingt-cinq pour cent sont donnés comme esclaves aux commerçants régimentaires ou comme larbins aux officiers. Vingt-cinq pour cent sont sans cesse employés à des corvées aussi dégradantes qu’inutiles. Le reste est condamné à des travaux pénibles et stériles, à des manœuvres sans objet.
Je pense à cela, ce soir, après avoir lu des pages d’un ouvrage de Hœnig dans lequel est démontrée la nécessité d’exercer spécialement la troupe aux travaux de retranchements, dans lequel il est prouvé que les luttes du futur transporteront en rase campagne la guerre de forteresse. C’est l’évidence même. Les terrassements considérables, rapidement exécutés, joueront dans les conflits à venir le rôle le plus important ; l’usage de la pelle et de la pioche doit être aussi familier au soldat que l’usage du fusil. Voilà une chose dont on se doute peu dans l’armée française. Ruse basse plus encore qu’ignorance, peut-être. Fouir le sol, le travailler et le retourner, rapprocheraient sans doute, moralement, intellectuellement et en fait, l’homme de la terre ; cela lui ferait comprendre que cette terre est le patrimoine de tous les Français, qu’il est abominable et impossible qu’elle appartienne seulement à quelques-uns, et qu’elle constitue la Patrie — toute la Patrie…
Je rouvre le livre de Hœnig sur la tactique de l’avenir, mais je ne puis arriver à lire, même de l’allemand. Je rêve. Je rêve d’une autre France… Après tout, rêver, c’est avoir la foi. Peu militaire, par conséquent.
Je déplie des journaux que je viens de recevoir de Paris. Et je crois rêver encore, ma foi, en lisant dans ces gazettes de longs et élogieux articles concernant mon père. À propos, mon père a été nommé général de division dernièrement, le 1er janvier 1889 (je savais bien que j’avais