Mon père me fait des réponses vagues. Mon grand-père aussi bégaye des phrases à travers ses larmes ; il essaye de me calmer, me caresse, me propose de m’emmener chez lui, à Versailles. Mais, je ne veux pas. Oh ! je ne veux pas m’en aller. Et j’ai une nouvelle crise de larmes, tout mon corps secoué de frissons, ma tête enfouie dans les coussins du divan. Mon père, brusquement, me saisit par les bras, m’enlève, me met sur mes pieds.
— Jean ! Veux-tu être un homme ? Veux-tu être un soldat ?
Alors, une force intérieure me raidit tout entier. Mes larmes se sèchent et je réponds :
— Oui !
— Alors, mon enfant, il faut aller avec ton grand-père.
Le fiacre qui nous conduit à la gare, mon grand-père et moi, ne va pas très vite à cause de la neige qui s’est mise à tomber à gros flocons ; elle a déjà recouvert les rues d’une épaisse couche blanche et enfariné les passants. Je regarde par l’une des portières, mon grand-père par l’autre.
— Grand-papa, est-ce que tu étais tout blanc de neige comme ces-gens là pendant la retraite de Russie ?
— Oui, mon enfant.
— Mais il y avait plus de neige que ça ?
— Oui, mon enfant ; beaucoup plus.
Silence. Mon grand-père a pris ma main qu’il garde dans la sienne. Tout à coup, il me demande de sa voix lente, dont l’accent allemand n’a jamais complètement disparu :
— Jean, as-tu pensé à ce que tu veux faire quand tu seras grand ?
— Oui ; je veux être officier, comme papa.
Mon grand’père regarde par la portière, très loin. Et je l’entends qui murmure :
— Ma pauvre Cécile ! Ma pauvre Cécile !…