Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/91

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mais je ne les connais pas. Il existe sans doute beaucoup de gens comme moi, puisque presque tout le monde aime la guerre. Comment comprendre des choses pareilles ? J’aime beaucoup mon oncle Karl, et je serais vraiment désolé s’il était blessé. Mais je hais les Prussiens de tout mon pouvoir. Pourquoi ont-ils battu les Français ? Ils me font ressentir une colère que je ne peux pas exprimer.

Et pourtant, l’autre jour, j’ai ressenti contre un Français une colère plus grande encore. M. Freeman, le vieil Anglais qui aime tant la France, était venu me chercher pour faire une promenade au parc. Au retour, comme il était un peu fatigué, il s’est assis à la terrasse d’un café et m’a offert un verre de bière, comme à un homme. Il a demandé un journal, qu’il s’est mis à lire. À l’intérieur du café, plusieurs personnes discutaient avec animation ; et, par les fenêtres ouvertes, le son de leurs voix parvenait jusqu’à nous.

— Si nous sommes vaincus, disait l’une de ces voix, que je crus reconnaître, nous ne le devons qu’à l’indiscipline et au manque de patriotisme de notre armée prétorienne, et à l’impéritie honteuse de ses chefs. Que peut-on attendre de traîneurs de sabres, de coureurs de femmes, de piliers d’estaminets dont toutes les études militaires n’ont consisté que dans l’absorption d’absinthes sans nombre et dans le pillage de Bédouins sans défense ! Nos officiers ne sont qu’un ramassis d’ivrognes et de vauriens, et chaque fois que j’apprends qu’ils ont été battus, j’applaudis. J’en ai un pour voisin, malheureusement, et c’est un échantillon complet de l’espèce ; il a fait mourir de chagrin sa femme, il a fait une esclave de sa belle-mère, et il élève son fils de telle façon que ce petit garnement deviendra, comme son père, un vrai gibier de potence…

Un brouhaha s’est produit, et il m’est devenu impos-