sible de distinguer les paroles. Très rouge, je me suis tourné vers M. Freeman qui, impassible, lisait toujours son journal. Mais, avant que j’aie pu prononcer un mot, la voix s’est élevée de nouveau.
— C’est du lieutenant-colonel Maubart que je parle…
Alors M. Freeman s’est levé. Il a posé tranquillement son journal sur la table et s’est dirigé vers l’intérieur du café, où le silence le plus complet a accueilli son entrée. Un instant après j’ai entendu sa voix, calme et claire, qui disait :
— Monsieur Curmont, vous avez grand tort de parler comme vous le faites, et surtout d’insulter un absent. Je ne comprends pas comment, sous prétextes d’opinions politiques, un Français peut considérer les revers de son pays comme des triomphes personnels. Je n’admets pas, surtout, lorsqu’on se tient prudemment à l’écart de la lutte, qu’on injurie un homme qui, quelles que soient ses convictions, défend sa patrie. Dorénavant, je vous préviens que je prendrai à mon compte les propos qui seront tenus sur le colonel Maubart. N’oubliez pas.
M. Freeman est sorti et m’a emmené. Au tournant de la rue, je lui ai serré les mains avec effusion, et j’ai voulu lui dire combien je lui étais reconnaissant de ce qu’il venait de faire.
— C’est bon, c’est bon, a-t-il dit de sa grosse voix ; tu n’iras plus voir les Curmont, et n’en parlons plus.
Un instant après il a ajouté, comme se parlant à lui-même :
— Ces républicains sont vraiment méprisables. Ils rêvent de renverser l’Empire, et n’osent même pas l’attaquer. C’est après Forbach, s’ils avaient su agir proprement, qu’ils auraient dû opérer un mouvement insurrectionnel. Mais ils ont peur de risquer leur peau. Ils attendent que les balles prussiennes aient couché à terre le dernier porte-drapeau qui tiendra la dernière aigle, pour