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et qui vont se consoler les uns les autres — les larmes vous viennent aux yeux, mais le rire vous monte aux lèvres. Les traîne-guenilles sont les traîne-malheur parce qu’ils sont les traîne-patience. Ce sont, aussi, des réservoirs à respect. On ne peut pas se figurer ce qu’ils respectent. Ils vénèrent l’argent, qu’ils n’ont jamais, et qu’on ne leur permet de gagner qu’afin de le leur reprendre. Même volé, volé dans leurs poches, l’argent leur inspire tant de vénération qu’ils en respectent les voleurs. L’impôt, sous ses formes les plus vexatoires et les plus inattendues, est accepté par eux avec un stoïcisme qui déconcerte. Présentement, on est en train de leur faire avaler l’impôt moralisateur ; et ça leur file dans la gorge comme une lettre à la poste. Les catastrophes financières qui ont dragué les misérables économies que n’avaient pas raflées les doigts crochus du fisc, ont trouvé en eux non seulement des victimes résignées, mais même des témoins pleins d’approbations encourageantes. Des scandales du Panama, par exemple, ils n’ont gardé qu’un souvenir agréable, voire attendri ; ils ne se souviennent pas sans une émotion flatteuse pour leur amour-propre d’éternelles dupes de la comédie des poursuites et du procès, des perquisitions, des condamnations, et de ces ordonnances de non-lieu qui jonchent encore l’Arène.

Leur imperturbable acceptation de tous les affronts et de toutes les douleurs va si loin, que les valets de plume de la bourgeoisie n’hésitent pas à célébrer la grandeur des victimes, la gloire des suppliciés et la nécessité de l’affliction. C’est ainsi que récemment le sieur Coppée, académicien à dos d’âne et crapaud de bénitier, s’est permis de développer cette opinion fangeuse que la souffrance est bonne, sans qu’aucun des douloureux eût l’idée de venir écraser à coups de bottes les pustules du personnage. Non, poète du goupillon et marguillier du mensonge, la souffrance n’est pas bonne. Elle donne l’hypocrisie, la bassesse, la peur, l’imbécillité, l’abrutissement — toutes les hideuses maladies morales qui suintaient sous ta sale peau lorsque tu montais la faction de la lâcheté dans les