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rer complètement du dogme, et de devenir simplement philosophique. Ces différents symptômes sont remarqués, interprétés gauchement, et des gens vont répétant sottement que le protestantisme se meurt. Des protestants mêmes s’y trompent. M. de Pressensé écrivait, il n’y a pas fort longtemps, que les réformés « doivent s’apercevoir que leur position est intenable et qu’ils doivent se réfugier dans la citadelle. » La citadelle, c’était Rome. M. de Pressensé a eu le temps, certainement, de regretter ce qu’il écrivait.

La position des réformés n’est pas intenable tant qu’elle reste une position protestante, c’est-à-dire tant que la réforme se continue, se transforme en même temps que la vie elle-même et reste en rapport étroit avec le développement humain. L’arrêt seul, la stagnation, accuseraient sa mort. Quel que soit l’aspect religieux que l’époque à laquelle il se produisit obligea le protestantisme à revêtir, ce sont des contingences qui l’ont fait naître ; et il ne peut, sans mentir à son origine et à sa raison d’être, se pétrifier dans le dogme. Déjà, au XVIe siècle, de grands esprits, Giordano Bruno entre autres, ne voyaient dans la Réforme qu’un acheminement vers la pure philosophie. Le protestantisme, comme religion, peut disparaître ; et disparaîtra. Le protestantisme, comme esprit, ne mourra pas, si le protestantisme reste fidèle à lui-même et comprend que sa mission consiste en ce seul mot : Protester.

Je ne recherche pas ici quelle est la nature du ressort intérieur qui fait mouvoir le protestantisme, qui lui a donné, indépendamment des influences de race, d’hérédité, etc., etc., un caractère moral et même une physionomie physique spéciale ; un ensemble qui distingue le protestant du commun des hommes dont il ne s’est séparé que par une idée, une conception spéciale du monde, et il y a à peine trois siècles. Sans doute cette force intime porte-t-elle l’empreinte du génie religieux. Peut-être découvrirait-on, au fond du protestant le moins inféodé aux dogmes et de l’esprit le plus ouvert, le plus philosophique, un levain religieux, amer et actif en dépit de la profondeur