Aller au contenu

Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
IV
AVANT-PROPOS

dont je n’avais pas achevé la lecture, ni même le remettre dans la valise. On aurait pu l’enlever, pendant mon absence. Je l’ai enfermé dans ma malle.

Dans la journée, j’ai appris une chose très ennuyante. L’hôtel où j’habite est un hôtel interlope — des plus interlopes. — Il n’est fréquenté que par des voleurs ; pas toujours célibataires. Quel malheur d’être tombé, du premier coup, dans une maison pareille — une maison où l’on était si bien, pourtant… — Enfin ! Je n’ai fait ni une ni deux. J’ai envoyé un commissionnaire chercher mes bagages et régler ma note, et je me suis installé ailleurs.

Et maintenant, maintenant que j’ai terminé la lecture des mémoires de M. Randal — l’appellerai-je Monsieur ? — maintenant que j’ai en ma possession ce manuscrit que je n’aurais jamais dû lire, jamais dû toucher, qu’en dois-je faire, de ce manuscrit ?

— Le restituer ! me crie une voix intérieure, mais impérieuse.

Naturellement. Mais comment faire ? Le renvoyer par la poste ? Impossible, mon départ précipité a dû déjà sembler louche. On saura d’où il vient, ce rouleau de papiers que rapportera le facteur ; je passerai pour un mouchard narquois qui n’a pas le courage de sa fonction, et un de ces soirs « ces messieurs » me casseront le nez, dans un coin. Bien grand merci.

Le rapporter moi-même, avec quelques plaisanteries en guise d’excuses ? Ce serait le mieux, à tous les points de vue. Malheureusement, c’est impraticable. Je suis entré une fois dans cet hôtel interlope et, j’aime au moins à l’espérer, personne ne m’a vu. Mais si j’y retourne et qu’on m’observe, si l’on vient à remarquer ma présence dans ce repaire de bandits cosmopolites, si l’on s’aperçoit que je fréquente des endroits suspects — que n’ira-t-on pas supposer ? Quels jugements téméraires ne portera-t-on pas sur ma vie privée ? Que diront mes ennemis ?


La situation est embarrassante. Comment en sortir ?

Eh ! bien, le manuscrit lui-même m’en donne le moyen. Lequel ? Vous le verrez. Mais je viens de relire les dernières pages — et je me suis décidé. — Je le garde, le manuscrit. Je le garde ou, plutôt, je le vole