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LE VOLEUR

gloire dernière — comme ces vieux rois du Nord qui se plaçaient, mourants, dans un navire aux voiles ouvertes qu’on lançait sur la mer, et où s’allumait l’incendie.

— Vous ne parlez pas mal, pour un voleur ; le jour où l’on créera une chaire d’éloquence sacrée à Mazas…

— Un voleur ! murmura l’abbé, les yeux perdus dans le vague et comme se parlant à lui-même… Oui, aujourd’hui, le caractère est un poids qui vous entraîne, au lieu d’être un flotteur. Je ne suis pas le seul… Les types sont à présent presque tous puissants, mais incomplets… Disproportion de l’homme avec lui-même beaucoup plus qu’avec le milieu ambiant… Il faudrait pourtant trouver quelque chose… Avez-vous songé, continua-t-il d’une voix forte, comme s’il revenait à lui tout d’un coup, mais avec encore la brume du rêve devant les yeux, avez-vous songé que tout acte criminel est une fenêtre ouverte sur la Société ? Que connaîtrait-on du monde, sans les malfaiteurs ? Je crois qu’un acte, quel qu’il soit, ne peut être mauvais. L’acte ! Oui, agir ce qu’on rêve. Le secret du bonheur, c’est le courage.

— Je pense, en effet, que le rôle du criminel est généralement mal apprécié…

— Je vous crois ! s’écria l’abbé en ricanant. Les économistes assurent tous que la misère actuelle vient de la surproduction ; que le manque de travail, qui enlève à tant de gens la possibilité de vivre, est causé par la surabondance des produits. Et l’on se plaint du voleur ! Mais chaque fois qu’il vole ou qu’il détruit quelque chose, un bijou, un chapeau, un objet d’art ou une culotte, c’est du travail qu’il donne à ses semblables. Il rétablit l’équilibre des choses, faussé par le capitaliste, dans la mesure de ses moyens. Production excédant la consommation ! Surproduction ! Mais le voleur ne se contente point de consommer ; il gaspille. Et on lui jette la pierre !… Quelle inconséquence !