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LE VOLEUR

Ou bien, lisez un roman naturaliste ; vous êtes sûrs d’y trouver quinze pages à la file qui peuvent s’appliquer à Malenvers. Moi, je ne fais pas de descriptions ; je ne sais pas. Si j’avais su faire les descriptions, je ne me serais pas mis voleur.

La ville est pavoisée (quelle ville curieuse !) Des voitures (ah ! ces voitures !) attendent devant la gare (je n’ai jamais vu une gare pareille).

Les voitures ne sont pas seules à attendre devant la gare. Il y a aussi M. le maire flanqué de ses adjoints et du conseil municipal, et toute une collection de notables, mâles et femelles. Les pompiers, casqués d’importance, font la haie à gauche et à droite, et présentent les armes avec enthousiasme, mais sans précision. Derrière eux se presse une foule en délire où semblent dominer les fonctionnaires de bas étage, cantonniers et bureaucrates, rats-de-cave et gabelous, pauvres gens qui n’ignorent point que Courbassol au pouvoir, cela signifie : épuration du personnel ! La fanfare de la ville, à l’ombre d’une bannière qui ruisselle d’or et très médaillée, exécute la Marseillaise ; et au dernier soupir du trombone, M. le maire, rouge jusqu’aux oreilles et fort gêné par son faux-col, prononce un discours que Courbassol écoute, le sourire sur les lèvres. M. le maire rend hommage aux grandes qualités de Courbassol, à ses talents supérieurs qui l’ont recommandé depuis longtemps aux suffrages de ses concitoyens et le mettent hors de pair, à sa haute intelligence qui lui fait si bien comprendre que la liberté ne saurait exister sans l’ordre sous peine de dégénérer en licence ; et souhaite de le voir un jour — et ce jour n’est peut-être pas loin, Messieurs ! — à la tête du gouvernement.

Courbassol déclare, en réponse, qu’il est heureux et fier de se voir ainsi apprécié par le premier magistrat d’une ville qui lui est chère, et qu’il ne faut attendre le progrès, en effet, que du libre jeu de nos institutions. Il affirme qu’il se trouvera prêt à tous les sacrifices si le pays fait appel à son dévouement ; et