Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/236

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
219
LE VOLEUR

— Non, Monsieur, pas un coin. Ah ! à onze heures du soir, quand nos voyageurs seront partis, ce sera différent ; mais jusque-là, étant donnée la position politique de mon mari, nous sommes tenus de les laisser faire leur maison de la nôtre… Pourtant, ajoute-t-elle, si Monsieur voulait repasser vers les cinq heures, je crois bien que j’aurais une chambre…

— Non, dit l’hôtelier qui a entendu, en passant, la fin de la phrase de sa femme ; non, pas avant six heures ou six heures et demie. Ce ne sera pas fini auparavant, certainement…

Quoi ? Qu’est-ce qui ne sera pas fini ?

— Mettons sept heures. Monsieur. À sept heures, je vous promets de vous donner une chambre. Monsieur a l’intention de déjeuner ?

Oui, j’en ai l’intention. Mais je ne pourrai point prendre mon repas dans la grande salle, qui est réservée… Cela m’est indifférent. Mon couvert est mis dans une petite pièce, à gauche, à côté du bureau de l’hôtel. Fort bien. Et, comme je me débarrasse de mon chapeau et de mon pardessus, je vois Margot descendre l’escalier, son bouquet tricolore à la main, avec l’air d’étudier le langage des fleurs. Courbassol est fort empressé auprès d’elle ; il en a bien le droit. Je ne veux pas la lui disputer, pour le moment. Est-ce qu’il m’a disputé sa femme ? Non ; eh ! bien, alors ?… Suum cuique.

Plusieurs personnes sont déjà à table dans la petite salle à manger. Entre autres, le mouchard. Ce doit être un fameux lapin, ce mouchard-là. Un homme de quarante ans passés, car le noir des cheveux est dû à la teinture, nerveux, au masque volontaire, aux yeux froids et aigus, presque terribles. On dirait qu’il me regarde avec insistance… Non. D’ailleurs, je n’en ai cure. Je ne suis pas venu ici professionnellement — bien que j’aie dans ma poche une petite pince, un bijou américain qui se démonte en trois parties et qui s’enferme dans un étui pas plus gros qu’un porte-cartes. Je déjeune rapidement. Le bruit qu’on fait dans