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LE VOLEUR

la grande salle commence à m’ennuyer ; j’ai envie d’aller faire un tour dans la campagne, pour passer l’après-midi.

C’est une bonne idée. J’y vais.

J’ai dépassé les dernières maisons de la ville — cette ville qui s’est enrubannée, enguirlandée, qui a mis des drapeaux à ses portes et des lampions à ses fenêtres, qui tirera un feu d’artifice ce soir, parce qu’un gredin qui n’a ni cœur, ni âme, ni éloquence, ni esprit, un gredin qui est un esclave et un filou, un adultère et un cocu, tiendra demain dans ses sales pattes les destinées d’un grand pays. — Je suis dans les champs, à présent. Ah ! que c’est beau ! que ça sent bon !…

J’ai gagné le bord d’une rivière qui coule sous des arbres, et je me suis assis dans l’herbe. De fins rayons de soleil, qui percent le feuillage épais, semblent semer des pièces d’or sur le tapis vert du gazon. Les oiseaux, qui ont vu ça, chantent narquoisement dans les branches et les bourdonnants élytres des insectes font entendre comme un ricanement. Elles peuvent se moquer de l’homme, ces jolies créatures qui vivent libres, de l’homme qui ne comprend plus la nature et ne sait même plus la voir, de l’homme qui se martyrise et se tue à ramasser, dans la fange, des richesses plus fugitives et plus illusoires peut-être que celles que crée cette lumière qui joue sur l’ombre au gré du vent… À travers le rideau des saules, là-bas, on aperçoit de belles prairies, des champs dorés par les blés, toute une harmonie de couleurs qui vibrent sous la gloire du soleil et qui vont se mourir doucement, ainsi que dans une brume chaude, au pied des collines boisées qui bleuissent à l’horizon. Ah ! c’est un beau pays, la France ! C’est un beau pays…

Je pense à beaucoup de choses, là, au bord de cette rivière qui roule ses flots paresseux et clairs entre la splendeur de ses berges. Cette rivière… Si l’on pouvait y vider le Palais-Bourbon, tout de même, une fois pour toutes !