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LE VOLEUR

Je suis navré et énervé au point de ne pouvoir tenir en place. Il m’est impossible de rester chez moi, où je suis rentré tout à l’heure ; la solitude redouble mon ennui. Sept heures. Je sors. Je vais aller inviter Margot à dîner ; son bavardage me distraira…

Mais Margot refuse ma proposition, telle ce Grec incorruptible qui repoussa les présents d’Artaxercès. C’est elle qui tient à m’offrir à dîner.

— Je sais bien que ça te semble le monde renversé…

— À moi ? Oh ! pas du tout. Je ne demande qu’à me laisser faire.

Je dîne donc chez Margot ; et même, j’aurai largement le temps d’y digérer à mon gré, car Margot est veuve jusqu’à demain. Courbassol a fait annoncer qu’il ne viendra pas ce soir ; il jette le mouchoir à une indigne rivale.

— Oui, mon cher. Il me trompe avec une actrice ; je le sais. Un homme marié ! C’est dégoûtant… Enfin, il va être ministre, et j’aurai un cocher à cocarde tricolore à ma porte quand je voudrai. Ah ! ce que Liane va rager !…

— Mais si, par hasard — car tout arrive, même ce qui devrait arriver — si Courbassol n’était pas nommé ministre ?

— C’est impossible ! s’écrie Margot. Le président est forcé de l’appeler. Mais qui veux-tu qu’on prenne, mon ami ? Réfléchis un peu. Qui ? Ils ne sont pas nombreux, en France, les gens à qui l’on peut confier un portefeuille. Tiens, tu ne connais rien à ces choses-là. Quand je t’entends parler politique, j’ai envie de t’envoyer coucher.

— Ne te gêne pas ; et si tu me montres le chemin, je serai capable de ne pas me réveiller avant demain.

C’est, ma foi, ce que j’ai fait. Nous dormons encore tous deux lorsqu’un carillon épouvantable retentit dans la maison. Un instant après, le bruit d’une grande discussion parvient jusqu’à nous.