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Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/281

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LE VOLEUR

chez Mme de Bois-Créault ; j’étais jolie, amusante ; elle avait remarqué qu’un de ses amis, fidèle habitué de la maison, tournait beaucoup autour de moi, semblait porter à ma jeunesse et à ma beauté fraîche un intérêt tout spécial… Vous avez entendu parler de Barzot ?

— Le premier président à la Cour des Complications ?

— Lui-même. Depuis trois ans, il est mon amant. Mme de Bois-Créault, cette femme si honorable, m’a vendue à lui, Monsieur. Comment le marché fut conclu, je l’ignore. Comment il fut exécuté la première fois, je ne le sais pas davantage. J’ai entendu dire que les voleurs, pour dépouiller leurs victimes sans qu’elles puissent se défendre ou crier à l’aide, leur font respirer du chloroforme. Mme de Bois-Créault connaissait apparemment les procédés des voleurs… Depuis… Depuis, j’ai tout subi sans rien dire… Quand je m’étais réveillée pour la première fois, souillée et meurtrie, entre les bras de ce vieillard lubrique, j’avais compris, tout d’un coup, l’infamie du monde ; mais j’avais eu conscience, en même temps, de mon néant et de mon impuissance… Que pouvais-je faire ? Ah ! j’ai songé à m’enfuir, à m’échapper de cette maison comme on s’évade d’une geôle de honte. Mais j’étais sans amis, sans famille, sans personne au monde pour prendre pitié de moi ; mon père — je le croyais alors — m’avait abandonnée ; et je n’aurais pu échanger le déshonneur doré que contre le déshonneur fangeux. Ah ! j’ai pensé à dire la vérité, aussi ; à la crier dans les rues ; à la hurler à l’église où il fallait faire ses dévotions, au théâtre où je voyais représenter des drames qui me paraissaient si puérils ! Mais on m’aurait prise pour une aliénée. On m’aurait enfermée comme folle, peut-être, et fait mourir sous la douche !

Hélène s’arrête, la gorge serrée par l’étreinte de la colère.

— J’ai donc résolu d’attendre, continue-t-elle au