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LE VOLEUR

bout d’un instant. Attendre je ne savais quoi. Le moment où je pourrais me venger, oui ! J’ai espéré que je le pourrais, jusqu’à ce soir… Barzot a fini par croire que je m’étais donnée à lui volontairement et que j’éprouvais, pour sa passion de satyre, autre chose que de la haine et du dégoût ; Mme  de Bois-Créault aussi, à la longue, s’était persuadée que j’avais de l’affection pour elle, l’ignoble gueuse ; et j’étais seule à connaître les pensées que je roulais dans mon cœur, amères comme du fiel et rouges comme du sang…

— Tout cela est affreux, dis-je ; c’est absolument abject. Cette femme… ha !… Mais quels étaient donc les motifs qui la poussaient à commettre ces turpitudes ? Ils sont riches, ces Bois-Créault.

— Oui, répond Hélène ; mais pas assez. Ils ne le seront jamais assez. Le fils dépense tellement, voyez-vous ! Il lui faut tant d’argent ! Il mettrait à sec les caves de la Banque. Et sa mère en est folle ; elle l’adore ; il est son dieu. Elle ferait tout pour satisfaire ses fantaisies, pour subvenir à ses caprices. Elle assassinerait… Ah ! j’ai dû coûter cher à Barzot.

— Mais, dis-je, M. de Bois-Créault, le père, ne s’est jamais aperçu de rien ? C’est inconcevable…

— Lui ! s’écrie Hélène en se levant et en marchant nerveusement : à travers la pièce. Lui ! Mais il est mort, il est fini, anéanti, éteint, vidé ; il n’y a plus qu’à l’enterrer. C’est une ombre, c’est un fantôme — c’est moins que ça. — C’est un prisonnier, c’est un emmuré. Il est séquestré. Son cabinet de travail, c’est une mansarde où sa femme vient lui apporter à manger quand elle y pense et le battre de temps en temps. Son livre, le grand ouvrage auquel il travaille et dont s’inquiètent les journaux, il n’en a jamais écrit une ligne. Il a un métier à broder et il fait de la broderie, du matin au soir, pour les bonnes œuvres de sa femme. Quand elle donne une soirée, on permet au brodeur de s’habiller, de sortir de son réduit et de venir faire le tour des salons ; il est très surveillé pendant ce temps-là, car une fois il a volé