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Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/335

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LE VOLEUR

Il se retourne et, un instant, je crois qu’il me reconnaît. Non, il ne m’a pas vu. Mais moi, j’ai aperçu sa figure, sa face dure et rusée d’impitoyable.

Sans savoir pourquoi, je ralentis le pas, je laisse augmenter la distance qui nous sépare… C’est curieux, ce n’est plus la même idée qui me meut, maintenant. Je ne pourrais dire ni ce que j’espère ni ce que je veux faire ; mais sûrement, je ne veux pas aborder Paternoster pour lui demander un service. Non, je ne le pourrais pas. C’est une force que je ne connais point, à présent, qui me pousse sur ses pas. Je le suis de loin, le guette comme le fauve doit épier sa proie, sans avoir l’air d’attacher d’importance à mon acte. Je m’intéresse à ce qui se passe autour de moi ; aux rues, pleines de foules joyeuses, se hâtant, car il fait froid, et se bombardant de « Merry Christmas » ; aux voitures de gui et de houx, aux vendeurs des numéros spéciaux de journaux illustrés ; aux enluminures des cartes symboliques ; aux festons de dindes, aux guirlandes d’oies, aux pyramides de puddings, aux montagnes d’oranges… Ludgate Hill, Fleet Street, Strand, « Merry Christmas »…

Je viens de traverser la Tamise et, sur les traces de Paternoster qui tient à la main son éternel sac, je descends Waterloo Road. Brusquement, il tourne à droite et disparaît derrière la porte d’une maison. J’ai à peine eu le temps de l’y voir entrer… Que faire, maintenant ? Oh ! c’est bien simple. Je vais me présenter dans cette maison tout à l’heure, demander à parler au vieux gentleman ; et, devant la jeune femme qui est sa maîtresse et qui le prend pour un brave homme, il n’osera pas refuser ; non, il ne pourra point faire autrement…


Il est onze heures ; et je suis toujours à la même place, au coin de la rue et de Waterloo Road, à l’endroit d’où j’ai vu Paternoster entrer dans la maison dont il sort justement à présent. Je m’en suis approché dix fois de cette maison, pendant ces longues heures