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LE VOLEUR

d’attente fiévreuse et presque inconsciente, et je n’ai pu me résoudre à frapper à la porte. Ç’a été plus fort que moi ; je n’ai pas pu…

Je fais quelques pas en descendant, afin de n’être pas remarqué ; et, dès que Paternoster s’est engagé sur la route, dans la direction du pont, je me retourne et je le suis.

Il marche rapidement ; les passants sont rares ; le froid a augmenté tout d’un coup, un vent épouvantable s’est élevé, précurseur d’une tempête de neige… Que vais-je faire ? Oh ! je le sais, en ce moment ; mais je le sais seulement maintenant. L’idée nette de l’acte à accomplir se découvre à moi, se précise à l’instant même où le souvenir de résolutions prises autrefois se présente à mon esprit : ne pas tuer, ne jamais me livrer à des violences contre les personnes… Tuer ! Je ne veux pas tuer ; je n’ai pas d’arme, d’abord. Violence… oui. Il me le faut, le sac que porte Paternoster.

Les trois policemen préposés à la garde de Waterloo Bridge se sont repliés à l’entrée de la route, derrière le petit mur, jugeant sans doute impossible de rester à leur poste. Le pont, noir, sinistre, chemin tragique qui semble se perdre dans les ténèbres compactes, est balayé par des rafales hurlantes qui font cligner et paraissent vouloir éteindre les lueurs pâles des becs de gaz. Je passe devant les policemen…

Je n’aperçois plus, à présent, que la silhouette de Paternoster, là-bas. Il se hâte, une main assurant son chapeau, l’autre serrant contre lui le petit sac. Le vent, qui me frappe la face, le bruit assourdissant des flots sous nos pieds, ne lui permettront pas de m’entendre… Je cours. Je l’atteins. D’un coup terrible, je l’envoie rouler sous l’un des bancs de pierre encastrés dans le parapet. Le sac lui échappe, tombe sur le trottoir. Je le ramasse et je m’élance en avant. Dieu ! qu’il est large, ce fleuve !

Attention ! Il ne faut plus courir… Quelqu’un qui vient… Un vagabond, écumeur du Pont des Soupirs,