Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/358

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
341
LE VOLEUR

garde l’eau couler… Il me semble que je me réveille d’une hallucination. Mon cœur se gonfle à éclater, comme autrefois, et les larmes de plomb que j’ai versées, je les verse encore. Projets, rêves, plans ébauchés, abandonnés, repris et rejetés… J’ai fait autre chose que ce que je voulais faire ; j’ai fait beaucoup plus et beaucoup moins. Pourquoi ? Mélange de violence et d’irrésolution, de mélancolie et de brutalité… un homme.

N’importe. Si je n’ai pas eu le courage d’agir autrefois, je l’aurai aujourd’hui ; et bien qu’on dise qu’il y a une destinée qui pèse sur nous et contrôle nos actes, je ne m’inquiète guère de savoir si c’est écrit, ce qui va arriver. Ah ! le vieux gredin ! la brute hypocrite et lâche ! Je vais lui faire voir qu’il existe d’autres lois que celles qui sont inscrites dans son code ; je vais… Non, je n’ai rien à lui faire voir, ni à montrer à d’autres. Les représailles n’ont pas besoin d’explications et il est puéril de rouler ma colère, encore une fois, dans le coton des arguties sociologiques. Aux simagrées des Tartufes de la civilisation, aux contorsions béates des garde-chiourmes du bagne qui s’appelle la Société, un geste d’animal peut seul répondre. Un geste de fauve, terrible et muet, le bond du tigre, pareil à l’essor d’un oiseau tragique, qui semble planer en s’allongeant et s’abat silencieusement sur la proie, les griffes entrant d’un coup dans la vie saignante, le rugissement s’enfonçant avec les crocs en la chair qui pantèle — et qui seule entend le cri de triomphe qui la pénètre et vient ricaner dans son râle. — À crime d’eunuque bavard, vengeance de mâle taciturne. Plus rien à dire, à présent… Je partirai ce soir.


Il est onze heures du matin, environ, quand j’arrive à Vichy. Un train quitte la gare au moment où celui qui m’amène y entre. Je descends rapidement du wagon et je traverse le quai.

— Bonjour, mon neveu !

C’est une femme… — Margot ! c’est Margot ! —