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LE VOLEUR

qu’on m’enseignera ne me servira pas à grand’chose ; qu’en tous cas j’aurais pu l’apprendre tout seul, en quelques mois, si j’en avais eu besoin ; et qu’il n’y a, en résumé, qu’une seule chose qu’il faille savoir. « Nul n’est censé ignorer la loi. » Est-ce que c’est classique, ça, ou simplement péremptoire ?

Non pas que je pense du mal de l’enseignement classique. Loin de là. J’ai pris le parti de ne penser du mal de rien ou, du moins, de ne point médire. Je m’abstiens donc de vilipender ces auteurs défunts qui m’engagent à vivre.

Integer vitæ, scelerisque purus.

Je leur ai même dû, depuis, une certaine reconnaissance. Il y a beaucoup de bonnes ruses, en effet, et fort utiles pour qui sait comprendre, indiquées par les classiques. Combien de fois, par exemple, enfermé dans un meuble que transportaient dans un appartement abandonné la veille des camarades camouflés en ébénistes, ne me suis-je pas surpris à mâchonner du grec ! Ô cheval de Troie… Mais n’anticipons pas.

J’exécute le programme, très consciencieusement. D’abord, parce que je ne veux pas être puni. Les pensums sont ridicules, désagréables ; et je cherche avant tout à ne pas me laisser exaspérer par les injustices maladives d’un cuistre auquel j’aurai fourni un jour l’occasion de m’infliger un châtiment, mérité peut-être, et qui s’acharnera contre moi. Je tiens à n’avoir point de haine pour mes professeurs ; car je ne suis pas comme beaucoup d’autres enfants qui, abrutis par la discipline scolaire, n’ont de respect que pour les gens qui leur font du mal. Ces gens-là, je ne pourrais jamais les vénérer, jamais — et je préfère garder à leur égard, sans aller plus loin, des sentiments inexprimés.

Ensuite, ce n’est pas désagréable d’exécuter un programme, lorsqu’on le sait grotesque. Quand on a cette certitude, on éprouve quelque jouissance à tra-