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Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/37

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LE VOLEUR

vailler ; sans aucun enthousiasme, bien entendu, mais avec pas mal d’ironie. J’apprends donc cette Histoire des Morts — tout ça, c’est les procès verbaux des vieilles Morgues — cette Histoire des Morts qu’on nous enseigne en dédain des Actes des Vivants — comme on nous condamne à la gymnastique affaiblissante en haine du travail manuel qui fortifie. — J’interprète en un français pédantesque les œuvres d’auteurs grecs et latins dont les traductions excellentes se vendent pour rien, sur les quais. Je prends des notes sans nombre à des cours où l’on me récite avec conviction le contenu des livres que j’ai dans mon pupitre. Et je salis beaucoup de papier, et je gâche beaucoup d’encre pour faire, du contenu de volumes généralement consciencieux et qu’on trouve partout, des manuscrits ridicules.

Je me le demande souvent : à quoi sert, dans une pareille méthode d’enseignement, la découverte de l’imprimerie ?

Ce serait trop simple, sans doute, de nous apprendre uniquement ce qu’il est indispensable de savoir aujourd’hui : les langues vivantes, et de nous laisser nous instruire nous-mêmes en lisant les livres qui nous plairaient, et comme il nous plairait… Qu’est-ce que je saurai, quand je sortirai du collège, moi qui ne serai pas riche, moi qu’on vole pendant que je traduis le De officiis, moi qui dépense ici, inutilement, de l’argent dont j’aurai tant besoin, bientôt ? Qu’est-ce que je connaîtrai de l’existence, de cette existence qu’il me faudra conquérir, seul, jour par jour et pied à pied ? Ah ! si j’étais encore riche, seulement ! Je suis épouvanté de mon isolement et de mon impuissance…

On élève mon esprit, cependant. Je me laisse faire. Je porte le lourd spondée à bras tendu et je fais cascader le dactyle dansant. Je m’imprègne des grandes leçons morales que nous légua la sagesse antique. Le livre de la science, qu’on m’entr’ouvre très peu, afin de ne point m’éblouir, m’émerveille. Et la haute si-