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LE VOLEUR

— Ah ! répond Mme Voisin fort tranquillement ; je n’aurais pas cru. Il a plutôt l’allure inquiète des honnêtes gens. Un voleur à l’américaine, peut-être ? Il y a tant de genres de vol !… Dites donc, c’est cette dame qu’il a amenée ici, Mlle de Vaucouleurs, qui va regretter son départ ! Si vous saviez l’argent qu’elle lui faisait dépenser ! Elle doit être désolée…

— Je la consolerai ce soir.

— Vous faites bien de m’avertir, dit Mme Voisin sans s’émouvoir ; je vais vous faire changer de chambre et vous en donner une dont la porte ouvre dans le salon de Mlle de Vaucouleurs ; ce sera plus commode pour vous deux. Je l’aime beaucoup, cette petite dame ; elle est charmante ; et puis, je serais bien contente qu’on fût complaisant pour Broussaille, quand elle voyage… Un petit verre de chartreuse ? De la verte, n’est-ce pas ?… Je crois, Monsieur, que rien ne peut vous rendre philosophe comme de tenir un hôtel. On entend tout, on voit tout, on apprend tout. On arrive à ne plus faire aucune distinction entre les choses les plus opposées, et l’on devient indifférent au bien comme au mal, au mensonge comme à la vérité, à la vertu comme au vice. Si cette maison pouvait parler ! Combien de gens honnêtes qui s’y sont conduits en forbans, combien de filous qui ont été des modèles de droiture ! Que de cocottes qui s’y sont comportées en femmes d’honneur, et que de femmes mariées qui ont mis leur vénalité aux enchères ! Et que de filous qui ont été des coquins, que d’honnêtes gens qui sont restés intègres, que de cocottes qui furent des courtisanes et que d’épouses qui restèrent pures ! C’est encore plus étonnant… Décidément, le monde est semblable aux braises du foyer : on y voit tout ce qu’on rêve. Et le mieux est de rêver le moins possible, car on finit par croire à ses rêves, et ils n’en valent jamais la peine. La vie, voyez-vous, c’est comme une baraque de la foire, devant laquelle se trémoussent des parades burlesques, tandis qu’on joue des drames sanglants à l’intérieur. À quoi bon