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LE VOLEUR

pas être chartreux ni toutes les femmes religieuses. Du reste, voyez la nature ; certains animaux se nourrissent de chair, d’autres mangent de l’herbe, et d’autres… autre chose. Mon avis est qu’il faut laisser aux aptitudes toute liberté de se développer. Je sais bien qu’il y a des lois. Mais, Monsieur, pourquoi n’y en aurait-il pas ? Le tonnerre existe bien, et les inondations, et les maladies, et toutes sortes de fléaux. Ce sont des maux peut-être nécessaires ; propres, en tous cas, à mettre en relief l’industrie et la variété des ressources de chaque individu. Il faut se faire une raison, et prendre le monde tel qu’il est — pas trop au sérieux. — La seule chose qui m’inquiète, à propos de Broussaille et de Roger, c’est leur santé. Ce qui me fait peur, chez Broussaille, c’est la vivacité de son tempérament. Elle était si impétueuse, si animée, si primesautière étant enfant ! Et je sais par expérience que les natures de femmes existent en germe dans les dispositions de petites filles. Ça use si vite, l’exaltation, dans ces choses-là !… De la verve, du brio, je ne dis pas non ; mais la frénésie… Après tout, je me fais peut-être des idées… Dites-moi la vérité. Je suis sûre que vous savez… Non ? Vous voulez être discret ? Enfin… c’est que ces Anglais sont si brutes, et c’est tellement délicat, une femme ! Mais Broussaille est une petite risque-tout. Jolie, hein ? Dans cinq ou six ans, nous la marierons ; mais pas avant. Ça ne vaut jamais rien, de se marier trop tôt… Quant à Roger, je ne me lasse pas de lui recommander de mettre des gants fourrés en hiver ; il est très sujet aux engelures. Et puis, dans votre profession, on est exposé à se voir poursuivi, à être obligé de courir ; dites-lui, de ma part, de porter toujours de la flanelle ; une fluxion de poitrine est si vite attrapée… À propos, c’est votre parent, ce M. Randal qui est si riche et qui est parti ce matin ? Il m’a semblé vous entendre dire à mon mari que c’est votre oncle ?

— Oui, dis-je. Et c’est un voleur.