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LE VOLEUR

rançon, il faudra qu’on la paye à ma place et qu’on paye double. Ce n’est pas pour moi, l’Espérance qui est restée au fond de la boîte. Je n’espère pas. Je veux.

« Qu’un homme se fixe fermement sur ses instincts, a dit Emerson, et le monde entier viendra à lui. » Je n’en ai pas retrouvé assez, des instincts qu’on m’a arrachés, pour en former un caractère ; mais j’en ai pu faire une volonté. Une volonté que mes chagrins furieux ont rendue âpre, et mes rages mornes, implacable. Et puis, elle m’a donné violemment ce qu’elle donne à tous plus ou moins, cette instruction que je reçois ; un sentiment qui, je crois, ne me quittera pas facilement : le mépris des vaincus.

Des vaincus… J’en vois partout. Ces universitaires méchants et serviles, vaniteux et moroses. Des gens qui n’ont jamais quitté le collège ; mangent, dorment, font leurs cours ; connaissent toutes les pierres des chemins par lesquels ils passent ; végètent sans se douter qu’on peut vivre ; requiescunt in pace. Des citrouilles rutilantes d’orgueil ; ou bien de grandes araignées tristes — des araignées de banlieue.

Et tout ça peine, pourtant, pour gagner sa vie ; roule la pilule amère dans la pâte sucrée des marottes, dans la poudre rosée des dadas.

— Serrez le texte ! s’écrie l’un. La langue française, qui est la plus belle du monde, nous permet de rendre exactement l’intensité du texte.

Je serre le texte ; je l’étripe ; je l’étrangle.

— Traduisez largement, dit l’autre ; n’ayez pas peur de moderniser. La vie antique se rapprochait de la nôtre beaucoup plus qu’on ne le pense généralement. Croyez-vous, par exemple, que les Anciens n’avaient d’autre coiffure que le casque ? Et le pétase, Messieurs ! Inutile d’aller plus loin…

Oui, inutile ;

Claudite jam rivos, pueri, sat prata biberunt.
N’en jetez plus, la cour est pleine.

— Mon ami, me dit mon oncle quand j’ai quitté