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LE VOLEUR

le lycée, pede libero ; avec un diplôme flatteur et fort utile sous le bras, mon ami, le moment est solennel. Toutes les branches de l’activité humaine s’offrent à toi ; tu peux choisir. Commerce, industrie, littérature, science, politique, magistrature… Que t’indiquerais-je ? Tu sais que, depuis Bonaparte, la carrière est ouverte aux talents…

Mon oncle s’amuse un peu, en me disant ça ; la bouche ne rit pas, mais l’ironie lui met des virgules au coin des yeux couleur d’acier. Sa figure ? Un tableau de ponctuation et d’accentuation, sur parchemin. La paupière inférieure en accent grave, la paupière supérieure en accent circonflexe ; le nez, un point d’interrogation renversé, surmonté d’un grand accent aigu qui barre le front ; la bouche, un tiret ; des guillemets à la commissure des lèvres ; et la face tout entière, que couronnent des points exclamatifs saupoudrés de cendre, prise entre les parenthèses des oreilles.

— Enfin, réfléchis. Tu as fini tes études ; tu connais la vie ; choisis.

Non, je ne connais pas la vie ; mais je la devine. Et j’ai fait mon choix.

Pour le moment, pourtant, je déclare à mon oncle que je désire, avant tout, faire mon temps de service militaire. M’engager, afin d’être libre, après.

— Excellente idée, dit mon oncle. Peut-être as-tu raison de ne point te décider pour une de ces professions libérales qui confèrent des dispenses ; qui peut savoir ? En tous cas, la caserne est une bonne école. Le service militaire obligatoire a beaucoup fait pour accroître les rapports des hommes entre eux ; il a donné à l’humanité un nouveau sujet de conversation.


Peut-être autre chose, aussi. J’ai eu le temps de m’en apercevoir, durant les années que j’ai passées sous les drapeaux. Mais ce ne sont pas là mes affaires. Et, d’ailleurs, je n’ai pas encore le droit de parler, car je ne serai libéré que demain.