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LE VOLEUR

sommeil, à l’abbé qui doit venir m’apprendre comment les choses se sont passées, demain, vers deux heures.


Mais il est à peine midi lorsqu’il arrive.

— Eh ! bien, dit-il, l’oiseau était envolé. Je n’ai trouvé que deux lettres ; l’une d’excuses, pour moi ; et l’autre qu’on me charge de vous remettre.

Je déchire l’enveloppe. Geneviève m’apprend qu’elle quitte Paris avec l’Autrichien. C’est un homme qui a des sentiments religieux très prononcés et elle est certaine de faire son salut avec lui. Si jamais nous nous revoyons, nous serons bons amis. Du moins, elle l’espère.

— Ma foi, dit l’abbé après avoir lu la lettre que je lui ai passée, ce qui arrive ne me surprend qu’à moitié. Je m’attendais à quelque chose d’illogique. Cette pauvre femme, voyez-vous, n’a pas beaucoup la tête à elle. Elle vous enverrait à l’échafaud ou se jetterait dans le feu pour vous avec la même facilité. La liberté dont elle jouit maintenant, et qui l’affole, lutte en elle avec les vieilles habitudes du servilisme. Son cas n’est pas rare. Toutes ses faussetés, ce sont des désirs d’actes, des prurits d’action, qui se résolvent en impostures. L’impuissance ou l’hésitation à agir créent le mensonge ; voilà pourquoi il est aussi commun aujourd’hui. Au fond, que désirait-elle, votre amie, sans même en avoir conscience ? Se débarrasser de vous, simplement, afin d’avoir son entière indépendance. Et voyez quels détours elle a été prendre, lorsqu’il lui était si facile — et elle le savait — de s’entendre avec vous ; voyez quelles combinaisons baroques son esprit a été chercher ! Il y a là-dessous quelque chose de terrible : la crainte, la honte de l’action directe.

— Terrible, certes, mais si fréquent ! Le joug vermoulu de la morale imbécile est encore tellement lourd !

— Oui, dit l’abbé, l’esprit des hommes est peuplé de terreurs. La loi divine, pour faire obéir à la loi