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LE VOLEUR

— Je voudrais bien être à votre place, dit l’abbé. Vous n’avez pas de but dans l’existence ? Continuez. Contentez-vous de vivre pour vivre. La maladie, assurent les hygiénistes, est une tentative du système pour s’accommoder aux mauvaises conditions du milieu dans lequel il se trouve. Le vol n’aura été pour vous qu’un essai d’acclimatation à la Société.

— Votre gaîté est plutôt grave.

— Je l’admets. Eh ! bien, si vous tenez absolument à vous charger d’un idéal, vous en avez un tout trouvé : continuez encore. Volez, volez. Idéal pour idéal, du moment que nous le cherchons en-dehors de nous, le crime en vaut un autre. Et quelle lumière il projette sur le présent, et même sur l’avenir, et même sur le passé ! Tenez, j’ai appris hier qu’un de mes anciens élèves, un marquis authentique, grand nom, grande noblesse, vient d’être arrêté à Paris en flagrant délit de cambriolage. Comprenez-vous la signification du fait ? Découvrez-vous, autrement que les gazetiers à la solde de Prudhomme, le sens de cet incident ? Il me semble voir, moi, dans l’acte courageux de ce descendant des croisés, la seule protestation vraiment grande et vraiment digne qu’ait jamais fait entendre la noblesse dévalisée contre les spoliations des pillards de 89. Acte énorme, oui, quelles que soient les proportions auxquelles on le réduise pour le moment, qui porte un verdict sur le passé de la bourgeoisie et manifeste son futur. D’ailleurs, il est inutile de jouer sur les mots. Dans un monde où l’Abdication n’est pas seulement une Doctrine, mais une Vie, la marche de l’humanité, en avant ou en arrière, n’a pu et ne peut être déterminée que par des actes que les lois qualifient de crimes ou de délits de droit commun. Malheureusement, il ne suffit pas d’être un criminel, même un grand criminel, pour être un caractère. L’individu, à présent, est non seulement hors la loi ; il est presque hors du possible. L’humanité possède l’unité et le moi commun dont parlait Jean-Jacques. Elle n’a plus qu’une face. Et sur