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LE VOLEUR

monde actuel est l’abjection même. Je m’offrirais en holocauste de bon cœur pour le transformer — et des milliers d’êtres feraient comme moi — si je ne connaissais pas l’inanité du sacrifice. Malgré tout, l’idéal est en nous. C’est nous. Vous êtes un hypnotisé et un voleur ; cela ne fait pas un homme. Tachez d’être un homme… Pour moi… Pour moi, j’emporte ces papiers, que vous avez volés et qui me permettront sans doute de commettre de nouveaux vols… Misère…


L’abbé m’a quitté. Je suis seul dans ma chambre et, pour échapper à l’obsession des pensées qui me harcèlent, j’écris, en attendant l’heure du départ. Je trace les lignes qui termineront ce manuscrit où je raconte, à l’exemple de tant de grands hommes, les aventures de ma vie. J’avoue que je voudrais bien placer une phrase à effet, un mot, un rien, quelque chose de gentil, en avant du point final. Mais cette phrase typique qui donnerait, par le saisissant symbole d’une figure de rhétorique, la conclusion de ce récit, je ne puis pas la trouver. Ce sera pour une autre fois. Mon œuvre demeurera donc sans conclusion. Ainsi que tout le reste, après tout. Péroraisons de tribune, dénouements de théâtre, épilogues de fictions, on aime ça, je le sais bien. On veut savoir comment ça finit. C’est même une demande qui termine la vie ; et les yeux, quand la bouche du moribond ne peut plus parler, ont encore la force de s’entr’ouvrir pour une dernière interrogation. On veut savoir comment ça finit. Hélas ! ça ne finit jamais ; ça continue…

Conclusion ? Je ne serai plus un voleur, c’est certain. Et encore ! Pour répondre de l’avenir, il faudrait qu’il ne me fût pas possible d’interroger le passé… J’ai voulu vivre à ma guise, et je n’y ai pas réussi souvent, j’ai fait beaucoup de mal à mes semblables, comme les autres ; et même un peu de bien, comme les autres ; le tout sans grande raison et parfois malgré moi, comme les autres. L’existence est aussi bête