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LE VOLEUR

l’affaire, Édouard ne la quitte pas, mais elle lui a encore écrit hier ; je le sais. C’est la police qui a tout découvert, en donnant là une grande preuve d’habileté ; je regrette même, pour les agents chargés des recherches, qu’on ait décidé de ne pas donner connaissance des faits réels à la presse.

J’éclate de rire.

— Oh ! oui, c’est regrettable ! Les journaux perdent là un bien joli roman-feuilleton. Mais pourquoi diable, mon oncle, me racontez-vous une pareille histoire ?

— Une histoire ! crie mon oncle. Une histoire ! Aussi vrai que nous ne sommes que deux dans cette chambre, c’est la vérité pure. La vérité, je te dis ! Me prends-tu pour un enfant ? Est-ce que j’ai l’habitude d’inventer des contes ? Tu ris !… Mais c’est affreux, c’est à faire trembler, ces choses là ! Penser que des capitalistes, des possédants — hommes ou femmes, peu importe ; le sexe disparaît devant le capital — font aussi bon marché du bien de la caste, sacrifient ses intérêts supérieurs à leurs passions basses, oublient toute prudence, négligent toute précaution devant leurs appétits déréglés — et livrent leurs munitions, en bloc, à l’ennemi ! — Où sont-ils, ces trois cent mille francs ? Qui sait ? Peut-être entre les mains de perturbateurs prêts à engager la lutte contre les gens riches, contre nous, en dépit du code qui fait tout ce qu’il peut, pourtant, pour favoriser l’accumulation et le maintien de l’argent dans les mêmes mains… Se laisser voler ! Ne pas veiller sur sa fortune ! C’est mille fois plus atroce que la prodigalité qui, au moins, éparpille l’or… C’est abandonner le drapeau de la civilisation ; c’est permettre à la vieille barbarie de prévaloir contre elle. La fortune a ses obligations, je crois ! L’Église même nous l’enseigne… Quand je la voyais là tout à l’heure, cette femme, geignante et pleurnicharde, je songeais à cette vieille princesse qui, pendant le pillage de sa ville prise d’assaut, courait par les rues en criant : « Où est-ce