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SUR LES PLANTES CULTIVÉES.

en les plantant dans le voisinage de leurs habitations. Livingstone[1] raconte que les sauvages Batokas laissaient des arbres fruitiers sauvages dans leurs jardins, et quelquefois en plantaient, chose qui ne se faisait nulle part ailleurs chez les indigènes. Du Chaillu a vu un palmier et quelques arbres à fruits, qui avaient été plantés, et qu’on regardait comme une propriété particulière. Un second pas vers la culture, mais qui demande déjà un peu de prévoyance, est de semer les graines des plantes utiles ; et, comme le sol voisin des huttes des naturels[2], est à quelque degré fumé, des variétés améliorées peuvent tôt ou tard y prendre naissance. Ou bien une variété nouvelle et meilleure d’une plante indigène, peut avoir attiré l’attention d’un vieux sauvage plus sagace, qui la transplante ou en sème la graine. Il est très-certain qu’on rencontre occasionnellement des variétés supérieures d’arbres à fruits sauvages, comme l’a signalé le professeur Asa Gray[3] dans les espèces américaines d’aubépines, de prunes, de cerises, de raisins et de noyers. Downing parle aussi de quelques variétés sauvages de noyers américains, comme étant plus grandes et ayant une saveur plus fine que l’espèce commune. J’ai parlé des arbres fruitiers américains, parce qu’il n’y a aucune possibilité que leurs variétés aient pu provenir de sauvageons échappés de cultures artificielles. Quant au fait de transplanter des variétés supérieures ou de semer des graines, il ne suppose pas plus de prévoyance qu’on ne pouvait en attendre à une époque reculée d’une grossière civilisation. Même les barbares australiens ont pour principe de ne jamais arracher une plante après sa floraison, et Sir G. Grey[4] n’a jamais vu violer cette loi, évidemment établie pour la conservation de la plante. La même pensée semble inspirer cette superstition des natifs de la Terre de Feu, que, si on tue les oiseaux aquatiques trop jeunes, il s’ensuivra beaucoup de pluie, de neige et de vent[5]. Comme exemple de prévoyance chez des barbares des plus

  1. Voyages, p. 535. — Du Chaillu, Adventures in equatorial Africa, 1861, p. 445.
  2. À Tierra del Fuego on peut déjà à une grande distance reconnaître les emplacements des anciens wigwams par la teinte plus brillante de la végétation locale.
  3. American Acad. of Arts and Sciences, 10 Avril 1860, p. 413. — Downing, The Fruits of America, 1845, p. 261.
  4. Journals of Exped. in Australia, 1841, vol. II, p. 292.
  5. Darwin, Journal of Researches, 1845, p. 215.