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CÉRÉALES.

même constitution, d’où une tendance à varier de la même manière. Ceux qui croient à la théorie générale de la descendance avec modifications, peuvent étendre leur manière de voir aux diverses espèces de froment, si jamais elles ont existé à l’état de nature.

Quoique peu de variétés de froment présentent des différences très-marquées, leur nombre est considérable. Pendant trente ans, Dalbret en a cultivé de cent cinquante à cent soixante sortes, qui toutes ont conservé leur type, en exceptant la qualité du grain ; le colonel Le Couteur en possédait plus de cent cinquante variétés, et Philippar trois cent vingt-deux[1]. Le froment étant annuel, nous voyons combien des différences insignifiantes peuvent rester strictement héréditaires pendant un grand nombre de générations. Le colonel Le Couteur appuie fortement sur ce fait ; dans ses tentatives persévérantes et heureuses pour créer, par sélection, de nouvelles variétés, il commença par choisir les plus beaux épis, mais trouvant que, dans un même épi, les grains différaient beaucoup les uns des autres, il fut conduit à trier les grains séparément, et chaque grain transmit généralement ses caractères propres. Il y a, dans les plantes d’une même variété, une variabilité remarquable, qu’un œil exercé par une longue expérience peut seul bien apprécier ; ainsi, le colonel Le Couteur raconte[2] que, dans un de ses champs de froment, qu’il considérait comme aussi pur que possible, le professeur La Gasca trouva vingt-trois variétés ; le professeur Henslow a observé des faits analogues. À côté de variations individuelles de ce genre, il apparaît souvent subitement des formes assez accusées, pour qu’on les remarque et qu’on les propage sur une grande échelle ; c’est ainsi que M. Sheriff a, pendant sa vie, eu la bonne fortune de créer sept variétés, qui sont actuellement répandues et largement cultivées dans plusieurs parties de l’Angleterre[3].

Parmi toutes ces variétés, comme cela est le cas pour beaucoup d’autres plantes, il en est quelques-unes, tant anciennes que nouvelles, dont les caractères sont plus constants que dans d’autres. C’est ainsi que le colonel Le Couteur s’est vu obligé de rejeter quelques-unes de ses sous-variétés, comme trop capricieuses, et que, pour ce fait, il soupçonnait être des produits de croisements. Melzger[4] donne, sur cette tendance à la variation, quelques cas intéressants qu’il a observés. Il décrit trois sous-variétés espagnoles, dont l’une, connue pour être très-constante en Espagne, ne manifesta, en Allemagne, ses caractères propres que dans les étés chauds ; une autre variété ne se maintenait que dans une bonne terre ; cependant, après une culture de vingt-deux ans, elle devint plus constante. Il mentionne encore deux autres sous-variétés qui, inconstantes d’abord, s’habituèrent ultérieurement, sans sélection apparente, à leurs nouvelles conditions, et

  1. Loiseleur-Deslongchamps. O. C., p. 45, 70, pour Dalbret et Philipar. — Le Couteur, O. C., p. 6.
  2. Varieties of Wheat, Introd. p. VI. — Marshall, Rural Economy of Yorkshire, vol. II, p. 9, remarque que, dans chaque champ de blé, il y a autant de variétés que dans un troupeau de bêtes à cornes.
  3. Gardener’s Chronicle et Agric. Gazette, 1862, p. 963.
  4. Getreidearten, 1811, p. 66, 91, 92, 116, 117.