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148 Lois de la variation.  

sacré des Egyptiens, ils font absolument défaut. On ne saurait encore affirmer positivement que les mutilations accidentelles soient héréditaires ; toutefois, les cas remarquables observés par M. Brown-Séquard, relatifs à la transmission par hérédité des effets de certaines opérations chez le cochon d’Inde, doivent nous empêcher de nier absolument cette tendance. En conséquence, il est peut-être plus sage de considérer l’absence totale des tarses antérieurs chez l’Ateuchus, et leur état rudimentaire chez quelques autres genres, non pas comme des cas de mutilations héréditaires, mais comme les effets d’un non-usage longtemps continué ; en effet, comme beaucoup de scarabées qui se nourrissent d’excréments ont perdu leurs tarses, cette disparition doit arriver à un âge peu avancé de leur existence, et, par conséquent, les tarses ne doivent pas avoir beaucoup d’importance pour ces insectes, ou ils ne doivent pas s’en servir beaucoup.

Dans quelques cas, on pourrait facilement attribuer au défaut d’usage certaines modifications de structure qui sont surtout dues à la sélection naturelle. M. Wollaston a découvert le fait remarquable que, sur cinq cent cinquante espèces de scarabées (on en connaît un plus grand nombre aujourd’hui) qui habitent l’île de Madère, deux cents sont si pauvrement pourvues d’ailes, qu’elles ne peuvent voler ; il a découvert, en outre, que, sur vingt-neuf genres indigènes, toutes les espèces appartenant à vingt-trois de ces genres se trouvent dans cet état ! Plusieurs faits, à savoir que les scarabées, dans beaucoup de parties du monde, sont portés fréquemment en mer par le vent et qu’ils y périssent ; que les scarabées de Madère, ainsi que l’a observé M. Wollaston, restent cachés jusqu’à ce que le vent tombe et que le soleil brille ; que la proportion des scarabées sans ailes est beaucoup plus considérable dans les déserts exposés aux variations atmosphériques, qu’à Madère même ; que — et c’est là le fait le plus extraordinaire sur lequel M. Wollaston a insisté avec beaucoup de raison — certains groupes considérables de scarabées, qui ont absolument besoin d’ailes, autre part si nombreux, font ici presque entièrement défaut ; ces différentes considérations, dis-je, me portent à croire que le défaut d’ailes chez tant de scarabées à Madère est principalement dû à l’action de la sélection naturelle, combinée probablement avec le non-usage de ces organes. Pendant plusieurs