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  Conformations variables. 177

laquelle, comme nous l’avons vu, il m’a répondu affirmativement.

Or, quelle conclusion devons-nous tirer de ces divers faits ? Nous voyons plusieurs espèces distinctes du genre cheval qui, par de simples variations, présentent des raies sur les jambes, comme le zèbre, ou sur les épaules, comme l’âne. Cette tendance augmente chez le cheval dès que paraît la robe isabelle, nuance qui se rapproche de la coloration générale des autres espèces du genre. Aucun changement de forme, aucun autre caractère nouveau n’accompagne l’apparition des raies. Cette même tendance à devenir rayé se manifeste plus fortement chez les hybrides provenant de l’union des espèces les plus distinctes. Or, revenons à l’exemple des différentes races de pigeons : elles descendent toutes d’un pigeon (en y comprenant deux ou trois sous-espèces ou races géographiques) ayant une couleur bleuâtre et portant, en outre, certaines raies et certaines marques ; quand une race quelconque de pigeons revêt, par une simple variation, la nuance bleuâtre, ces raies et ces autres marques reparaissent invariablement, mais sans qu’il se produise aucun autre changement de forme ou de caractère. Quand on croise les races les plus anciennes et les plus constantes, affectant différentes couleurs, on remarque une forte tendance à la réapparition, chez l’hybride, de la teinte bleuâtre, des raies et des marques. J’ai dit que l’hypothèse la plus probable pour expliquer la réapparition de caractères très anciens est qu’il y a chez les jeunes de chaque génération successive une tendance à revêtir un caractère depuis longtemps perdu, et que cette tendance l’emporte quelquefois en raison de causes inconnues. Or, nous venons de voir que, chez plusieurs espèces du genre cheval, les raies sont plus prononcées ou reparaissent plus ordinairement chez le jeune que chez l’adulte. Que l’on appelle espèces ces races de pigeons, dont plusieurs sont constantes depuis des siècles, et l’on obtient un cas exactement parallèle à celui des espèces du genre cheval ! Quant à moi, remontant par la pensée à quelques millions de générations en arrière, j’entrevois un animal rayé comme le zèbre, mais peut-être d’une construction très différente sous d’autres rapports, ancêtre commun de notre cheval domestique (que ce dernier descende ou non de plusieurs souches sauvages), de l’âne, de l’hémione, du quagga et du zèbre.