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  Objections diverses. 241

compte des habitudes probables de la girafe naissante, cette dernière observation ne peut s’appliquer, car les individus ayant une ou plusieurs parties plus allongées qu’à l’ordinaire, ont dû en général survivre seuls. Leur croisement a produit des descendants qui ont hérité, soit des mêmes particularités corporelles, soit d’une tendance à varier dans la même direction ; tandis que les individus moins favorisés sous les mêmes rapports doivent avoir été plus exposés à périr.

Nous voyons donc qu’il n’est pas nécessaire de séparer des couples isolés, comme le fait l’homme, quand il veut améliorer systématiquement une race ; la sélection naturelle préserve et isole ainsi tous les individus supérieurs, leur permet de se croiser librement et détruit tous ceux d’ordre inférieur. Par cette marche longuement continuée, qui correspond exactement à ce que j’ai appelé la sélection inconsciente que pratique l’homme, combinée sans doute dans une très grande mesure avec les effets héréditaires de l’augmentation de l’usage des parties, il me paraît presque certain qu’un quadrupède ongulé ordinaire pourrait se convertir en girafe.

M. Mivart oppose deux objections à cette conclusion. L’une est que l’augmentation du volume du corps réclame évidemment un supplément de nourriture ; il considère donc « comme très problématique que les inconvénients résultant de l’insuffisance de nourriture dans les temps de disette, ne l’emportent pas de beaucoup sur les avantages ». Mais comme la girafe existe actuellement en grand nombre dans l’Afrique méridionale, où abondent aussi quelques espèces d’antilopes plus grandes que le bœuf, pourquoi douterions-nous que, en ce qui concerne la taille, il n’ait pas existé autrefois des gradations intermédiaires, exposées comme aujourd’hui à des disettes rigoureuses ? Il est certain que la possibilité d’atteindre à un supplément de nourriture que les autres quadrupèdes ongulés du pays laissaient intact, a dû constituer quelque avantage pour la girafe en voie de formation et à mesure qu’elle se développait. Nous ne devons pas non plus oublier que le développement de la taille constitue une protection contre presque toutes les bêtes de proie, à l’exception du lion ; même vis-à-vis de ce dernier, le cou allongé de la girafe — et le plus long est le meilleur — joue le rôle de