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272 Objections diverses.  

riations subites et fortement prononcées s’observent isolément et à intervalles de temps assez éloignés chez nos produits domestiques. Comme nous l’avons déjà expliqué, des variations de ce genre se manifestant à l’état de nature seraient sujettes à disparaître par des causes accidentelles de destruction, et surtout par les croisements subséquents. Nous savons aussi, par l’expérience, qu’à l’état domestique il en est de même, lorsque l’homme ne s’attache pas à conserver et à isoler avec les plus grands soins les individus chez lesquels ont apparu ces variations subites. Il faudrait donc croire nécessairement, d’après la théorie de M. Mivart, et contrairement à toute analogie, que, pour amener l’apparition subite d’une nouvelle espèce, il ait simultanément paru dans un même district beaucoup d’individus étonnamment modifiés. Comme dans le cas où l’homme se livre inconsciemment à la sélection, la théorie de l’évolution graduelle supprime cette difficulté ; l’évolution implique, en effet, la conservation d’un grand nombre d’individus, variant plus ou moins dans une direction favorable, et la destruction d’un grand nombre de ceux qui varient d’une manière contraire.

Il n’y a aucun doute que beaucoup d’espèces se sont développées d’une manière excessivement graduelle. Les espèces et même les genres de nombreuses grandes familles naturelles sont si rapprochés qu’il est souvent difficile de les distinguer les uns des autres. Sur chaque continent, en allant du nord au sud, des terres basses aux régions élevées, etc., nous trouvons une foule d’espèces analogues ou très voisines ; nous remarquons le même fait sur certains continents séparés, mais qui, nous avons toute raison de le croire, ont été autrefois réunis. Malheureusement, les remarques qui précèdent et celles qui vont suivre m’obligent à faire allusion à des sujets que nous aurons à discuter plus loin. Que l’on considère les nombreuses îles entourant un continent et l’on verra combien de leurs habitants ne peuvent être élevés qu’au rang d’espèces douteuses. Il en est de même si nous étudions le passé et si nous comparons les espèces qui viennent de disparaître avec celles qui vivent actuellement dans les mêmes contrées, ou si nous faisons la même comparaison entre les espèces fossiles enfouies dans les étages successifs d’une même couche géologique. Il est évident, d’ailleurs,