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  Dimorphisme et trimorphisme. 341

ce qu’un exemple fera mieux comprendre. Supposons qu’un botaniste trouve deux variétés bien marquées (on peut en trouver) de la forme à long style du Lythrum salicaria trimorphe, et qu’il essaye de déterminer leur distinction spécifique en les croisant. Il trouverait qu’elles ne donnent qu’un cinquième de la quantité normale de graines, et que, sous tous les rapports, elles se comportent comme deux espèces distinctes. Mais, pour mieux s’en assurer, il sèmerait ces graines supposées hybrides, et n’obtiendrait que quelques pauvres plantes rabougries, entièrement stériles, et se comportant, sous tous les rapports, comme des hybrides ordinaires. Il serait alors en droit d’affirmer, d’après les idées reçues, qu’il a réellement fourni la preuve que ces deux variétés sont des espèces aussi tranchées que possible ; cependant il se serait absolument trompé.

Les faits que nous venons d’indiquer chez les plantes dimorphes et trimorphes sont importants en ce qu’ils prouvent, d’abord, que le fait physiologique de la fécondité amoindrie, tant dans les premiers croisements que chez les hybrides, n’est point une preuve certaine de distinction spécifique ; secondement, parce que nous pouvons conclure qu’il doit exister quelque lien inconnu qui rattache la stérilité des unions illégitimes à celle de leur descendance illégitime, et que nous pouvons étendre la même conclusion aux premiers croisements et aux hybrides ; troisièmement, et ceci me paraît particulièrement important, parce que nous voyons qu’il peut exister deux ou trois formes de la même espèce, ne différant sous aucun rapport de structure ou de constitution relativement aux conditions extérieures, et qui, cependant, peuvent rester stériles lorsqu’elles s’unissent de certaines manières. Nous devons nous rappeler, en effet, que l’union des éléments sexuels d’individus ayant la même forme, par exemple l’union de deux individus à long style, reste stérile, alors que l’union des éléments sexuels propres à deux formes distinctes est parfaitement féconde. Cela paraît, à première vue, exactement le contraire de ce qui a lieu dans les unions ordinaires entre les individus de la même espèce et dans les croisements entre des espèces distinctes. Toutefois, il est douteux qu’il en soit réellement ainsi ; mais je ne m’étendrai pas davantage sur cet obscur sujet.